Cet article est une contribution de Kris Voorspools, Energy Market Expert at 70GigaWatt Consulting. La FEBEG s'aligne sur ce point de vue.
En principe, vous devez payer une indemnité de rupture pour mettre prématurément fin à un contrat. Cela crée une confiance mutuelle dans l'intention des deux parties de respecter le contrat. En cas de rupture anticipée, la partie qui ne respecte pas le contrat paie les frais et intérêts. Cela semble être une évidence, et cela s'applique partout. Sauf pour les contrats d'énergie.
Pour les clients résidentiels, la facturation d’une indemnité de rupture est interdite depuis 2012. Pour les PME, l’indemnité de rupture a également été supprimée cette année. Pourquoi ? L’idée est de faciliter le changement de fournisseur. Mais la suppression l’indemnité de rupture, est-elle vraiment une bonne idée ? Cet article approfondit un peu plus les effets négatifs éventuels de cette décision.
Des prix fixes et variables
Sur le marché, il existe des tarifs à prix variable et des tarifs à prix fixe. Avec un prix variable, le consommateur est facturé en fonction d'un indice convenu qui suit le marché. Lorsque le marché monte, le consommateur paie plus, lorsque le marché baisse, il paie moins. Le fournisseur ne doit pas se couvrir pendant une longue période et peut acheter progressivement sur le marché selon le besoin du client.
Avec un prix fixe, le consommateur paie un prix prédéterminé sur une période convenue qui peut varier de 1 à 3 ans (exceptionnellement même 5 ans). Avec un prix fixe, un fournisseur se couvrira donc sur le marché à terme afin de ne pas s’exposer aux risques de fluctuations de prix et de décalage entre les coûts des achats et les prix de ventes.
Comment fonctionne un tarif à prix fixe ?
Pour un contrat à prix fixe, un fournisseur fera appel au marché de gros à terme. Sur ce marché, un fournisseur achète et se couvre pour de l'électricité. Ce marché est donc également la référence pour la fixation des prix. Le graphique ci-dessous présente le marché à terme de l'électricité belge (il s'agit par exemple ici des prix effectifs du 15 octobre 2021 tel que coté sur la bourse ICE Endex).
Le prix sur ce marché à terme n'est pas fixe dans le temps ; chaque mois de livraison a un prix différent. En ce moment, le premier trimestre est très cher. L'électricité à livrer en février 2022 coûte près de 230 € par MWh. Plus loin dans le temps, l'électricité coûte beaucoup moins cher, jusqu'à un peu plus de 55 € par MWh pour une livraison en avril 2024.
Un contrat à prix fixe n'a qu'un seul prix de vente. Il faut donc regarder la moyenne sur la période de livraison. Pour un contrat de trois ans, ce prix est représenté par la ligne pointillée rouge. Le fournisseur y ajoute une marge, ce qui conduit à la ligne pointillée bleue, qui est le prix de marché de référence sur lequel est basé le tarif de vente.
Les achats sur le marché de gros par le fournisseur ne sont pas effectués à un prix constant, mais ils suivent le marché de gros. À certains moments, le prix du marché de gros est supérieur au prix de vente moyen, à d'autres, il est inférieur.
Le deuxième graphique (ci-dessus) montre la marge brute du fournisseur pour un client typique (en supposant que le fournisseur vise une marge brute de 50 € par client et par an).
Comme le prix d'achat pendant les premiers mois du contrat est beaucoup plus élevé que le prix de vente, le fournisseur réalisera une perte. Ce montant peut atteindre plus de 120 euros par client même après quelques mois. Cette perte se poursuivra pendant un certain temps. Le client ne devient rentable pour le fournisseur qu'au début de la troisième année de livraison. Ce n'est qu'à la fin du contrat que la marge brute visée est atteinte.
Comme ce client est déficitaire pour le fournisseur pendant les deux premières années du contrat et ne devient rentable que la dernière année, le fournisseur a besoin que le client s'engage à respecter les trois années complètes du contrat.
Et voilà pourquoi la suppression de l'indemnité de rupture pose un problème. Le client ne doit pas s’engager envers le fournisseur. Il peut partir à tout moment. Si le client trouve une meilleure offre ailleurs au bout de trois mois, il peut partir sans frais et le fournisseur se retrouve avec une perte de 120 €.
Et il y a un autre problème. Lorsque les prix de l'énergie augmentent, le choix d'un prix fixe convenait parfaitement au consommateur. Mais lorsque les prix de l'énergie baissent, un prix fixe ne représente plus le bon choix. Pour les consommateurs, il ne s'agit pas d'un problème, mais plutôt d'une opportunité. Comme il n'y a pas de indemnité de rupture, le client peut, dans un marché en baisse, résilier facilement son contrat à prix fixe et passer à un tarif variable ou à un nouveau tarif fixe à un prix inférieur.
Pour le fournisseur, cependant, c'est un problème. Il s'était déjà couvert sur le marché de gros aux prix plus élevés. Si le client part prématurément, il doit à nouveau vendre cette énergie mais à des prix inférieurs et donc - à nouveau - à perte.
Quelles sont les conséquences de la suppression de l'indemnité de rupture pour les fournisseurs ?
Depuis la suppression de l'indemnité de rupture, les fournisseurs surveillent de près le taux de ‘churn’. Ce taux mesure la quantité des clients qui résilient prématurément leur contrat.
Cela varie d'un fournisseur à l'autre. Pour les véritables "chasseurs de prix", le churn est souvent plus élevé, car leur portefeuille de clients se compose en grande partie de « chasseurs de bonnes affaires » qui partent immédiatement dès qu'une meilleure offre est disponible. Parfois, le churn est supérieur à 50 % par an. Avec d'autres fournisseurs qui se concentrent principalement sur de bons (mais pas nécessairement les meilleurs) prix avec une stabilité à long terme, ce taux est un peu plus faible (peut être limité à 10 % par an).
Ce churn est difficile à anticiper parce qu’il est sensible au marché. Dans un marché haussier, le consommateur a plutôt intérêt à ne pas changer de fournisseur. Mais dans un marché baissier, le consommateur choisi plutôt un nouveau tarif/fournisseur qui est plus avantageux.
Sans indemnité de rupture, le fournisseur ne peut pas récupérer cette perte auprès du client qui l'a causée en résiliant unilatéralement le contrat. Supposons un churn de 25 % par an. Parmi tous les clients qui concluent un contrat de trois ans, 75 % restent après la première année, 56 % après la deuxième année et seulement 42 % après la première année. Avec les prix actuels, seuls 42 % des clients à prix fixe sont potentiellement rentables pour le fournisseur. Le reste est déficitaire.
Subir des pertes structurelles n’est pas une situation saine pour un fournisseur. Il n'a que deux possibilités pour faire face à cette situation. Soit cesser de proposer un prix fixe, soit augmenter le prix pour compenser la perte anticipée.
Certains petits fournisseurs appliquent la première option depuis la suppression de l'indemnité de rupture. Ils n’offrent que des tarifs variables. La raison en est très simple : le risque financier d'un prix fixe est trop grand si le client peut se retirer à tout moment. D'autres fournisseurs ont également retiré leurs prix fixes du marché après les récentes augmentations extrêmes des prix. D'autres ont limité leurs offres à prix fixe, par exemple en ne proposant plus de contrats de trois ans.
La deuxième option consiste à augmenter les prix fixes. Offrir un prix fixe très attractif est un risque considérable, car cela attire une plus grande partie des chasseurs de bonnes affaires qui changent régulièrement de fournisseur lorsqu'ils trouvent de meilleures offres ailleurs ou lorsque les prix sur le marché de gros baissent. Avec un prix plus élevé, le fournisseur vise une marge brute plus importante pour compenser la perte potentielle des départs anticipés.
Les consommateurs bénéficient-ils de la suppression de l’indemnité de rupture ?
C'est la question clé. L’indemnité de rupture a été introduite pour offrir davantage de flexibilité aux consommateurs d’énergie et pour abaisser le seuil de changement de fournisseur.
Mais tout cela se fait au détriment des consommateurs. L'introduction de l’indemnité de rupture a dans les faits réduit l'offre de prix fixes. Certains fournisseurs ne les proposent plus, et d'autres ont limité leur offre. Comme les risques pour les fournisseurs ont augmenté, il est plausible que cela se traduise par des prix de vente plus élevés pour les contrats à prix fixe encore disponibles sur le marché.
Les politiciens continuent à insister sur la suppression de l’indemnité de rupture en tant que "droit" du consommateur. Mais, en raison de cette suppression les consommateurs ont moins de choix, en outre pour des produits plus chers.
Il y a peut-être un compromis possible. La suppression de l’indemnité de rupture est, justifiable quand les tarifs sont transparents avec un prix variable. Parmi ces offres tarifaires, les chasseurs de bonnes affaires peuvent ensuite choisir à leur guise. Mais pour ceux qui recherchent la stabilité à long terme d'un prix fixe, on pourrait prévoir une indemnité de rupture, à condition qu'elle soit définie de manière transparente et qu'elle ne serve qu'à indemniser le fournisseur pour le préjudice réellement subi.
Les politiciens continuent à insister sur la suppression de l’indemnité de rupture en tant que "droit" du consommateur. Mais, en raison de cette suppression les consommateurs ont moins de choix, en outre pour des produits plus chers.
Il y a peut-être un compromis possible. La suppression de l’indemnité de rupture est, justifiable quand les tarifs sont transparents avec un prix variable. Parmi ces offres tarifaires, les chasseurs de bonnes affaires peuvent ensuite choisir à leur guise. Mais pour ceux qui recherchent la stabilité à long terme d'un prix fixe, on pourrait prévoir une indemnité de rupture, à condition qu'elle soit définie de manière transparente et qu'elle ne serve qu'à indemniser le fournisseur pour le préjudice réellement subi.
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